PENSER A ACCUEILLIR

Prévoir, imaginer, organiser, lister. Quand mon imaginaire investit attentivement le prochain repas, supposant, avec beaucoup de précision, un ensemble cohérent, évident, un lien entre les ingrédients, entre les plats, comme si son histoire devait être tenue par un léger fil, un trait de sens que je suis peut être le seul à saisir, commence alors cet exercice étrange et obsédant durant lequel je déroule, par à-coups, la liste des aliments, des préparations, des cuissons, des influences aussi. Je bloque, je fais, je défais et je recommence inlassablement jusqu’à la satisfaction salvatrice. Au terme de cette litanie qui tient mon esprit tenaillé, me voici face à un menu peut-être harmonieux mais certainement inflexible.

Du coup, c’est bien moi, là, au beau milieu de ce marché, à la recherche de ces foutues asperges que je ne trouve pas. Je ne suis pas là, mon regard cherche sans se poser, les étals défilent comme des paysages devant mon regard absent, emporté, embrumé par la contrainte.

Puis, à la lumière d’un instant de pleine conscience, mon rythme ralentit, mon horizon s’élargit, je suis à hauteur de Leonardo, maraîcher italien. Je n’avais pas vu ses magnifiques citrons de Sicile, pas aperçu ses légumes méconnus que je découvre d’ailleurs pour la première fois. Leurs noms chantants illuminent mon appétit. Cime de rape, cimata, catalogna, carde, carosello.

Je prends un réel plaisir à l’écouter me raconter comment son oncle fait des beignets de carde, comment il prépare le cœur croquant et tendre de la cimata, comment il cuit les feuilles extérieures. Alors qu’il me décrit les saveurs douces, vertes et amères, je me souviens un instant des salades de jeunes pissenlits de mon enfance. Mon menu s’ouvre à d’autres possibles, ses contraintes s’effacent (les miennes en réalité).

Me voilà revenu à la découverte du présent et de ce qu’il a à offrir. C’est simple, doux et terriblement humain.

Les cardes (cardons) se mangent traditionnellement en gratin dans le Lyonnais. Je cherchais quelque chose de plus léger. Après avoir pelé les côtes à l’économe et enlevé un maximum de fils, je les ai coupés en tronçons, cuits dans de l’eau bouillante et salée pour qu’ils restent croquants. Enfin, juste poêlés dans de l’huile d’olive avec un peu d’ail, la saveur est proche de l’artichaut avec une pointe d’amertume. Top ! Le reste, je l’ai testé froid, en salade avec une vinaigrette, c’est bien aussi.

Les cime di rape, j’en ai utilisé les feuilles et les fleurs ainsi que la partie haute des tiges. Après avoir été blanchies, revenues dans un peu d’huile, linguine et parmesan. Le goût se situe entre l’épinard et le brocoli

Cimata et catalogna ressemblent plus aux pissenlits avec une amertume marquée et une mâche bien présente. J’ai poêlé les feuilles à cru dans de l’huile d’olive avec de l’ail et rappé un zeste de citron. C’est intéressant comme condiment, mais peut-être pas en tant que légume principal.

Le cœur de la cimata ressemble, lui, à un bouquet de pointes d’asperges creuses. Elles ont été émincées et préparées en salade. C’est tendre et croquant avec une amertume comparable au chicon cru.

Le carosello est un légume de la famille des concombres, moins aqueux, plus doux avec une peau croquante. C’est aussi une belle découverte.

2 Commentaires

  1. Leonardo, c’est au marché de Jette ? Merci pour cette verdischiotissima chronica.

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    • Oui, oui, c’est bien là !

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