PENSER À AVOIR FAIM

C’est un bateau en bois posé sur une mer turquoise. Nous remontons petit à petit à bord. Les plongeurs, les snorkelers.

Une gorgée d’eau douce pour adoucir l’irritation du sel, directement sur le visage pour en laver la morsure. La mer fraîche et les coups de palmes répétés nous ont fatigués. Chacun profite en silence des images et des couleurs qui déjà sont devenues souvenirs et s’entremêlent. Chacun reprend la mesure de son corps, de ses muscles, engourdis et apaisés par l’effort.

Le capitaine a découpé quelques fruits, amené des beignets locaux.

Les regards s’éclairent, les nuques se redressent, les coudes sur les genoux appuyés se lèvent pour accueillir, avec un vrai bonheur, cet en-cas réparateur. Cette faim semble simple, légitime, évidente.

Dans nos pays d’abondance, nous mangeons parfois par ennui, pour passer le temps, pour apaiser nos âmes tourmentées, pour nous offrir cette récompense que d’autres nous refusent, pour remplir nos corps vidés d’envie.

Nous nous traînons d’un repas à l’autre en espérant que l’appétit reviendra. Et s’il ne revenait plus, à force d’habitude, à force de ne plus l’attendre. Et s’il fallait s’arrêter, faire une pause légère, presque douce, écouter sa faim, accepter qu’elle n’y soit pas, cette fois. Boire un peu, mâcher un fruit sec et passer à autre chose. Elle reviendra c’est sûr. Comme un retour aux sources. Et nous la reconnaîtrons. Vous, moi.

Je la reconnais cette faim première, cette faim aux cheveux en bataille et aux paupières encore mi-closes, réveillée au chant d’un œuf crépitant entouré de lard craquant, cette faim aux joues rouges, aux mains glacées, réchauffées autour d’un bol d’Ovomaltine, tartines beurrées et gelée de groseilles de ma grand-mère, cette faim au pantalon tâché de vert, aux cheveux moites et aux bras salés rafraîchis à un reste de limonade abandonné à dessein dans le congélateur.

C’est bien elle, cette faim qui transcende les goûts les plus simples, qui donne envie de mordre à pleines dents, de ronger, de dévorer, jusqu’à la dernière miette, jusqu’au dernier grain. Cette faim, politesse première, qui devrait accueillir tous nos repas comme si c’était la première fois.

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